- Diagnostic des maladies des chaînes lourdes [2]
- Physiopathologie [3]
- Maladie des chaînes lourdes alpha (chaînes lourdes des IgA) [4]
- Maladie des chaînes lourdes gamma (chaînes lourdes des IgG) [5]
- Maladie des chaînes lourdes mu (chaînes lourdes des IgM) [6]
- Maladie des chaînes lourdes delta (chaînes lourdes des IgD) [7]
- En résumé [8]
- Maladie des chaînes lourdes alpha (chaînes lourdes des IgA) [9]
- Maladie des chaînes lourdes gamma (chaînes lourdes des IgG) [10]
- Maladie des chaînes lourdes mu (chaînes lourdes des IgM) [11]
- Maladie des chaînes lourdes delta (chaînes lourdes des IgD) [12]
EN BREF |
Les maladies des chaînes lourdes sont des syndromes lymphoprolifératifs B rares caractérisés par la production d’une protéine monoclonale (M) constituée d’un fragment de la chaîne lourde de l’immunoglobuline sans chaîne légère associée. La chaîne lourde est souvent incomplète ou tronquée ; le pic monoclonal à l’électrophorèse peut être alors absent dans certains cas.
Dans la plupart des dysglobulinémies plasmocytaires, les protéines M ont une structure semblable aux molécules normales d’Ac. En revanche, dans les maladies des chaînes lourdes, il y a production d’Ig monoclonales incomplètes (paraprotéines vraies). Les lymphocytes ou les plasmocytes anormaux sécrètent les différents types de chaînes lourdes (alpha, gamma, miu, ou delta) sans chaînes légères. (On n’a pas encore observé de maladie des chaînes lourdes epsilon e). La plupart des protéines des chaînes lourdes sont des fragments de leurs homologues normaux avec des délétions internes de longueur variable ; ces délétions semblent résulter de mutations structurales. Le tableau clinique est plus proche de celui d’un lymphome que d’un myélome multiple.
On distingue 3 types de maladies des chaînes lourdes selon la classe de chaîne lourde d’Ig produite par les cellules clonales : alpha, gamma, mu.
- Maladie des chaînes lourdes alpha : forme de lymphome de MALT appelé également maladie immunoproliférative de l’intestin grêle (ImmunoProliferative Small Intestinal Disease : IPSID), lymphome méditerranéen ou maladie de Seligmann
- Maladie des chaînes lourdes gamma (Maladie de Franklin) associé typiquement à un lymphome systémique souvent de type lympho-plasmocytaire mixte
- Maladie des chaînes lourdes mu dont la clinique rappelle un lymphome lymphocytique ou leucémie lymphoïde chronique avec néanmoins au niveau médullaire des cellules distinctives vacuolisées lymphocytaires/plasmocytaires
Le pronostic de ces maladies est variable et le traitement n’est pas standardisé sauf pour les IPSID qui peuvent répondent à un stade précoce à un traitement antibiotique.
Diagnostic des maladies des chaînes lourdes
Circonstances diagnostiques :
- prise en charge d’un lymphome
- évaluation d’un composant monoclonal dans le sérum, les urines ou tissulaire
Le diagnostic des maladies des chaînes lourdes et celui du syndrome lymphoprolifératif sous-jacent passe par l’analyse histologique des tissus atteints et l’analyse du sérum ou des urines.
L’histologie couplée aux immunomarquages montrera une population monoclonale positive pour une chaîne lourde mais négative pour les deux chaînes légères kappa et lambda.
La mise en évidence du pic monoclonal est de fréquence variable et dépend du type de maladies des chaînes lourdes. Si la protéine anormale est présente à l’immunofixation, elle est constituée d’une chaîne lourde (alpha/gamma/mu) sans être associée à une chaîne légère.
Type de maladie | Pic monoclonal ? | Aspect de l’électrophorèse |
Alpha | Non | 50% normale
50% aspect de large bande dans les alpha2 et betaglobulines NB : la protéine anormale peut être absente du sérum |
Gamma | Non >> Oui | Plutôt tracé large et hétérogène plutôt qu’une bande localisée |
Mu | Non > Oui (40%) | panhypogammaglobulinémie (bande localisée 40%) |
Physiopathologie
L’immunoglobuline normale est composée de deux chaînes lourdes et de deux chaînes légères reliées entre elles par des ponts disulfure. La fixation des chaînes légères se fait au niveau d’un des domaines de la région constante de la chaîne lourde (CH region) : CH1. En l’absence de chaîne légère, le domaine CH1 se fixe à la protéine de choc thermique 78 (Heat Shock Protein 78) également appelée BiP pour Binding Protein et est dégradée au niveau du protéasome au lieu d’être sécrétée.
Dans les maladies des chaînes lourdes, des délétions non contiguës dans la région CH1 empêche la fixation de la chaîne lourde anormale à la chaîne légère ainsi qu’à la protéine de choc thermique 78 empêchant sa dégradation. Les chaînes légères sont alors sécrétées dans le plasma (ou dans le fluide jejunal pour la maladie des chaînes lourdes alpha) et si le fragment est assez petit dans les urines.
Maladie des chaînes lourdes alpha (chaînes lourdes des IgA)
Autres appellations :
– IPSID (immunoproliférative small intestine disease)
– Lymphome méditerranéen
– Maladie de Seligmann
Il s’agit d’une variante extra-ganglionnaire de lymphome de MALT (mucosa associated lymphma tissue) touchant l’intestin grêle avec sécrétion d’une chaîne lourde alpha.
La présentation histologique montre un lymphome de type MALT gastro-intestinal et une différenciation plasmocytaire marquée.
- Forme la plus fréquente des maladies des chaînes lourdes
- Présentation classique : homme jeune (âge médian 25 ans) originaire du bassin méditerranéen ou du moyen orient.
Dans ces zones : > 75% des lymphomes digestifs
Faible niveau sanitaire, infections parasitaires du tube digestif, gastro-entérites infectieuses infantiles sont fréquents dans les populations à risque - Implication de Campylobacter jejuni
- Tableau clinique :
- douleurs abdominales
- malabsorption sévère avec diarrhées chroniques, stéatorrhées et perte de poids
- retard de croissance chez l’enfant
- hippocratisme digital et adénopathies mésentériques peuvent également se voir
- Histologie :
- infiltration de la muqueuse jéjunale par des cellules plasmaocytoïdes
- le diagnostic repose sur la mise en évidence de la chaîne lourde alpha sans expression de chaînes légères dans le sérum, les urines, les sécrétions intestinales ou les cellules infiltrant la muqueuse intestinale
- atteintes duodénales et iléales plus rares
- un infiltrat identique peut parfois être mis en évidence au niveau des ganglions mésentériques mais il n’y a habituellement pas d’autres atteintes ganglionnaires périphériques ou profondes ni médullaire ou hépato-splénique
- Mise en évidence de la protéine anormale :
- Électrophorèse des protides
- 50% : normale
- 50% : aspect de large bande en alpha2/betaglobulines
(liée à la tendance à former des polymères de tailles différentes)
- Immunofixation : composante anormale qui réagit avec un antisérum anti-IgA mais non avec un antisérum anti-chaîne légère
- Urines : peut être présente en faible quantité
- Présente dans les sécrétions intestinales
- Électrophorèse des protides
- EVOLUTION/TRAITEMENT :
- Sans traitement : quelques rémissions spontanées sur les stades précoces mais le plus souvent évolution progressivement défavorable avec tableau de mal-absorption sévère puis décès
Stade | Traitement | Réponse |
1. Précoce : infiltration de l’intestin sans tumeur visible |
|
30-70% RC 43% ; DFS 5 ans > 5 mois > 12 mois |
2. Maladie avancée avec formation tumorale au niveau intestinal avec ou sans ganglions mésentériques | Chimiothérapie à base d’anthracycline +/- Tetracycline | 50-60% RC DFS 3 ans : 60-70% |
3. Tumeur « bulky » avec complications mécaniques | Chirurgie, radiothérapie, polychimiothérapie | Réponse partielle, quelques mois < 1 |
Maladie des chaînes lourdes gamma (chaînes lourdes des IgG)
Présentation typique :
|
|
Le tableau clinique s’étend du patient asymptomatique (MGUS) au syndrome lymphoprolifératif agressif.
La plus large série décrit 23 patients (Wahner-Roedler. Medicine (Baltimore) 2003 ; 82:236)
Pic monoclonal à l’électrophorèse | 83% |
Adénopathies | 35% |
Anémie < 10 g/dL | 35% |
Infiltration médullaire | 32% |
Splénomégalie | 30% |
Atteinte cutanée | 30% |
Thrombopénie < 100000 | 17% |
Hépatomégalie | 4% |
Des manifestations auto-immunes sont retrouvées dans 1/3 des cas : PTI, AHAI, vascularite, lupus, polyarthrite rhumatoïde, Gougerot-Sjögren…
Diagnostic :
- Mise en évidence par immunofixation du sérum et de l’urine de fragments monoclonaux libres de chaînes lourdes IgG SANS production associée de chaîne légère monoclonale
Plus de la moitié des malades ont un composant sérique monoclonal (apparaissant le plus souvent sous la forme d’un pic à base élargie pouvant être pris pour une augmentation polyclonale des gammaglobulines). Plus de la moitié ont également une protéinurie > 1 g/24h. - Infiltrat polymorphe de lymphocytes, plasmocytes, immunoblastes et d’éosinophiles
- lésions osseuses lytiques rares ; dépôts amyloïdes rarement retrouvés
Evolution / Traitement
- médiane de survie d’environ 1 an mais très variable (quelques mois à > 5 ans)
- traitement uniquement pour les patients symptomatiques : chimiothérapies (Melphalan, Chlorambucil, COP – Cyclophosphamide, Oncovin, Prednisone – avec ou sans doxorubicine : CHOP) ou si les cellules anormales expriment le CD20 : Rituximab
23 patients (Wahner-Roedler. Medicine (Baltimore) 2003 ; 82:236)
Traitement | N | Réponse |
Wait & See | 5 | 5/5 maladie stable |
Chimiothérapie | 16 | 6/16 RC 10/16 Maladie persistante avec décès (infections, complications auto-immunes…) |
Palliatif d’emblée | 2 | décès < 5 mois |
La médiane de survie dans les séries est de 7.4 ans mais avec un intervalle très large (de 1 mois jusqu’à 21 ans). Le décès résulte habituellement de complications infectieuses, auto-immunes ou d’une progression de la maladie.
Maladie des chaînes lourdes mu (chaînes lourdes des IgM)
- Forme la moins fréquente de maladie des chaînes lourdes
- Tableau clinique de leucémie lymphoïde chronique ou d’un lymphome lymphocytique d’évolution lente
- Adénopathies périphériques moins fréquentes que dans la LLC : atteinte principalement abdominale (rate, foie, adénopathies profondes) avec discrètes adénopathies superficielles
- lésions osseuses ostéolytiques et fractures pathologiques décrites dans quelques cas
- Mise en évidence d’un composant monoclonal de fragments de la chaîne lourde M dans le sérum
Certains patients peuvent avoir une augmentation de la sécrétion de chaînes légères libres (kappa) et un protéinurie de Bence Jones et peuvent développer néphropathie et amylose - L’électrophorèse des protides est normale ou montre une hypogammaglobulinémie
- Présence au niveau médullaire de plasmocytes vacuolaires caractéristiques
- Evolution variable (survies : de quelques mois à plusieurs années)
- Traitements rapportés identiques à ceux de la LLC (alkylants, fludarabine…)
Maladie des chaînes lourdes delta (chaînes lourdes des IgD)
Un seul cas a été décrit. Le malade, un homme âgé, présentait un tableau clinique semblable à celui d’un myélome multiple. Il avait une forte plasmocytose médullaire et des lésions ostéolytiques du crâne. Une petite quantité de composé M, évidente sur l’électrophorèse des protéines sériques, réagissait avec un antisérum anti-IgD monospécifique mais non avec les autres antisérums de spécificité anti-chaîne légère ou lourde. Il n’y avait pas de protéinurie. La mort a été secondaire à l’insuffisance rénale.
En résumé
ALPHA | GAMMA | MU | |
Description | Lymphome de MALT digestif (IPSID) Atteinte jéjunale Homme jeune, bassin méditerranéen Douleurs abdo + malabsorption |
MGUS à lymphome agressif Sg généraux, SMG, ADP Oedème du palais/luette âge : 60-70 ans |
Tableau de LLC atypique ADP profondes abdo, SMG, HMG Lésions ostéolytiques, fractures |
Histologie | infiltration jéjunale par cellules plasmacytoïdes éventuellement ganglion mésentérique pas d’atteinte médullaire, hépatique ou rénale ni ganglionnaire périphérique |
infiltrat polymorphe (lymphocytes, plasmocytes, éosinophiles) | plasmocytes vacuolaires au niveau médullaire |
Électrophorèse sérique | 50% normale 50% aspect de large bande en alpha2/beta |
Pic à base élargie > 50% (83%) | normale ou hypogamma |
Immunofixation (IF) | composant anormal réagissant à l’antisérum anti-IgA Pas de chaînes légères |
fragment de chaînes lourdes gamma | fragment de chaînes lourdes mu |
Urines | pas de ch. légères ; protéinurie en général absente ou faible | > 50% : Protéinurie > 1 g | augmentation des ch. légères libres => protéinurie de BJ, néphropathie… amylose |
Traitement | Stade précoce : antibiotérapie (tetracycline) Stade + avancés : chimio +/- antibiotiques |
MGUS : surveillance Formes agressives : polychimiothérapie type CHOP ou R-CHOP si CD20+ |
type LLC (alkylant, fludarabine) |